Les vestiges du Jour by Ishiguro Kazuo

Auteur:Ishiguro, Kazuo [Ishiguro, Kazuo]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Folio
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

TROISIÈME JOUR – MATIN

Taunton, Somerset

La nuit dernière, j’ai logé à une auberge nommée La Diligence, un peu en dehors de la ville de Taunton, dans le Somerset. Cette construction au toit de chaume, en bordure de la route, m’avait paru particulièrement attirante, vue de la Ford, lorsque je m’en étais approché à la tombée du jour. L’aubergiste m’a conduit par un escalier de bois jusqu’à une petite chambre, plutôt dépouillée, mais parfaitement propre. Comme il désirait savoir si j’avais dîné, je lui ai demandé de me servir un sandwich dans ma chambre, ce qui s’est avéré une solution parfaitement satisfaisante à la question du repas. Mais au fil de la soirée, je me suis mis à éprouver une certaine agitation, ce qui m’a finalement décidé à gagner la salle du bas pour y essayer le cidre local.

Il y avait cinq ou six clients, rassemblés en groupe autour du comptoir – on pouvait deviner à leur allure que d’une manière ou d’une autre, ils s’occupaient d’agriculture –, mais à part eux, la salle était vide.

M’étant procuré une chope de cidre auprès du patron, je me suis assis à une table placée plutôt à l’écart, comptant me détendre un peu et rassembler mes pensées sur la journée. Mais je me suis bientôt aperçu qu’à l’évidence, les gens du pays étaient dérangés par ma présence, éprouvant plus ou moins le besoin de se montrer hospitaliers. Chaque fois que leur conversation s’interrompait, l’un ou l’autre coulait un regard vers moi comme s’il cherchait à rassembler le courage nécessaire pour m’aborder. Il y en eut enfin un pour élever la voix et me dire :

« Apparemment, monsieur, vous prévoyez de passer la nuit ici ? »

Comme j’acquiesçais, mon interlocuteur, secouant la tête d’un air sceptique, remarqua : « Vous n’allez pas beaucoup dormir là-haut, monsieur. Sauf si ça vous plaît d’entendre le vieux Bob – il indiqua l’aubergiste – qui tape et qui cogne ici en bas toute la nuit. Et après, pour vous réveiller, vous aurez la patronne qui commence à lui brailler dessus à l’aube. »

Malgré les protestations de l’aubergiste, de grands rires fusèrent à la ronde.

« En est-il vraiment ainsi ? » dis-je. Et tout en parlant, je fus frappé par l’idée – cette même idée qui m’était déjà venue à plusieurs reprises, ces temps derniers, en présence de Mr. Farraday – que l’on attendait de moi une repartie spirituelle. D’ailleurs, les gens du pays s’étaient tus et attendaient poliment ce que j’allais dire ensuite. Je fouillai donc mon imagination et déclarai enfin :

« Une variation locale sur le chant du coq, assurément. »

Au début, le silence persista, comme si les gens de l’endroit avaient cru que j’avais l’intention de prolonger mon discours. Mais lorsqu’ils remarquèrent l’expression réjouie dont ma figure était empreinte, ils se mirent à rire, d’un air cependant quelque peu déconcerté. Là-dessus, ils reprirent leur conversation antérieure, et nous n’échangeâmes plus aucune parole avant de nous souhaiter mutuellement la bonne nuit, quelques instants après.

J’avais été assez content de ma

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